LES ALPES, UN FRANC, DES LIRES, LA FRONTIERE FRANCO-ITALIENNE, REFLEXIONS

 

 

 

   

   
   

    L'aube nous éclaire bien loin du refuge du Requin, au pied d'un couloir de 400 mètres. Soudain: "Domi, tu peux regarder dans mon sac? J'ai l'impression que ma gourde fuit!", après vérification, "non, non Sergio, elle est belle et bien fermée". "C'est curieux, j'entends comme un bruit".
    Le poids de mon sac, 25 kilos environ, ne m'encourage pas à faire le fameux coup de l'épaulé jeté. Finalement, aux trois quarts du couloir, abrité sous un surplomb, je comprends tout...
    Nous avons un nouveau prétendant pour notre nourriture? Cette nuit, alors que mon sac à dos bourré à bloc, épousait la parfaite ligne droite du plancher, Grignotin, le mulot, s'y est caché et le voilà, qui sans ski, saute dans le couloir!
    Un mulot, c'est une chose, mais nous nous sentons tels deux grands mulets car notre souffle est court et nous plions sous le harnais. Mais pour nous, point de carotte, la passion nous pousse devant; nous sommes juste derrière, tout derrière et elle "deux vents"!
    Arrivés à l'un des nombreux cols de ces arêtes, Dominique, pris d'une intuition soudaine, me montre une pointe caractéristique, fameux bloc de granit rose. "Tiens, son nez semble indiquer un endroit précis!". Prestement, nous allons constater que son flair est surprenant et nous mettons bientôt à jour, un magnifique four à cristaux fumés, couleur whisky.
    Croyez-vous qu'il soit facile de porter le premier coup dans un four où crisse tout?
    Ce silencieux léviathan une fois harponné, la blessure vous reste au coeur et ceci pour cent ans.
    Ce four énorme, nous tient une année durant dans un fol espoir; une épaisse couche de glace nous interdisant son âme.
    Je me délecte à voir mon compagnon Domi; ce courageux obstiné au pied sûr, arpenter et arpenter encore, grimper et grimper encore ces cathédrales de pierre avec une idée fixe; un peigne, un beau peigne, un magnifique peigne sur gangue!
    "Fluo, Sergio, aménes-toi!". Et nos deux brigands célestes évaluent leur butin.
    Le jour a depuis longtemps disparu quand nous pouvons enfin reposer nos corps courbaturés et nos yeux brûlants, dans cette fameuse tente de bois* qu'un ancien malin menuisier a dressé là!
    Nos deux grands mulets prennent le temps de goûter, point de cosmétique mais le dessert est Cosmique!
    Domi, lui ne change pas d'armure, son odeur de loup me suit toute la nuit.
    Et nous écoutons enfin tranquilles, la lente rotation de la Terre griffant l'espace de ses granits tranchants.

                                                                                    
Serge BLADET - 1993
 

 

 

 

 

 

 

 

 

  *Il s'agit du bivouac des Périades ou bivouac Chevallier, abri très rudimentaire et très petit pour trois personnes maximum, constitué d'un plancher et de deux pans de toit, "une tente en bois" comme l'indique Serge Bladet. Il est situé sur la crête des Périades, à 3 450 m d'altitude, dans un lieu d'une beauté et d'une sauvagerie extraordinaires.

                           Note d'Armand Comte 

 

 

 

 

 

 


 

 

 

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